Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 2001 © DR

C’est l’histoire d’un mec…

L’enfant terrible Maurizio Cattelan.

Subversif et provocateur, comique féroce du monde de l’art contemporain et frondeur de l’ordre institutionnel établi, scandaleux et poète à la fois, la liste est longue quand on rassemble tous les commentaires au sujet de Maurizio Cattelan, artiste contemporain italien, célébré jusqu’au 8 janvier 2017 à la Monnaie de Paris, autour de l’exposition « Not afraid of love ».

Il faut dire que pour cet artiste originaire de Padoue, le parcours fut pour le moins décousu. Tantôt employé d’une morgue, tantôt designer de mobilier, arrivé à
New-York en 1992, il lui a fallu convaincre l’assemblée avec ses œuvres et installations qui ont souvent défrayé la chronique et laissé le regardeur sceptique quant à la définition de son travail comme étant « art ». Et pourtant, il est aujourd’hui considéré comme artiste à part entière par ses paires, et l’une de ses œuvres les plus subversives, Him (2001), a été vendue cette année à plus de 15 millions de d’euros chez Christie’s New York. 
Mais alors qu’est-ce qui se cache derrière cet artiste passé peu à peu de simple provocateur incompris à coqueluche du marché de l’art, jusqu’à vendre ses œuvres à des millions d’euros ?

L’art d’encadrer la société
Ce qu’il faut d’abord retenir chez Maurizio Cattelan, c’est qu’il n’a jamais conçu son activité artistique comme une vocation, « on ne naît pas artiste, on le devient », résume littéralement son parcours. Lui qui fut renvoyé de la paroisse, alors qu’il était enfant de chœur, pour avoir peint des moustaches à une sculpture de Saint Antoine, considéra son art comme un travail à temps plein et non pas comme une activité témoignant d’un don inné de portraitiste de la société. Il se définit alors comme un « encadreur de sensations, de sentiments, d’états d’âme et de prises de position », il cherche finalement à encadrer la société en la figeant à travers une œuvre, sur des sujets qu’il choisit le plus souvent la veille de la présentation de la dite œuvre au public. Il ne dénonce pas, il met en lumière. Ses réalisations, il les voit comme des autoportraits de sa vie et des sujets qui l’interpellent au quotidien. La société est donc sa principale source d’inspiration qu’il utilise pour détourner, parodier et implicitement montrer la nature des choses telle qu’il la perçoit. Alors que son travail est taxé d’ironie féroce, il cherche moins à faire rire ou à provoquer qu’à établir des œuvres qui pourraient trouver prospérité. Pourtant, comment ne pas le juger comme un trublion tant ses interventions furent à double sens : invité de la Biennale de Venise en 1997, il expose 200 pigeons empaillés et naturalisés italiens (Turisiti) perchés sur les poutres du pavillon italien. En 1999, il met le Vatican et les catholiques en émoi en réalisant une sculpture hyperréaliste du Pape Jean-Paul II, écrasé par une météorite (La Nona Ora). En 2001, il réalise cette fois une sculpture hyperréaliste d’Hitler enfant, agenouillé en prière (Him).
L’artiste choque, visuellement et concrètement : il pend 3 mannequins d’enfants à un arbre sur une place publique à Milan (Hanging Kids, 2004), il scotche son galeriste Massimo Di Carlo au mur de sa propre galerie présentant un solo show de l’artiste, plante illégalement des oliviers dans les jardins de musées en Italie, ferme une galerie durant toute la durée de l’exposition annoncée à son effigie et la nomme « Wrong Gallery », déguise son galeriste français Emmanuel Perrotin en lapin phallique (Errotin le vrai lapin), ou encore réalise pour sa première exposition en Angleterre une plaque en granit noire sur laquelle sont gravées toutes les défaites d’une équipe de foot locale, au pays du ballon rond et des hooligans. En bref, de quoi en énerver plus d’un et déranger les autres. Impossible, forcément, de croire que tout est fait de bon cœur et qu’il ne s’agit que d’un « encadrement de société que l’on pourrait ramener à la maison ». L’artiste joue, tâtonne, et se laisse porter par la réception bonne ou mauvaise de ses réalisations. 

Alors que son travail est taxé d’ironie féroce, il cherche moins à faire rire ou à provoquer qu’à établir des œuvres qui pourraient trouver prospérité.

Le tout et son contraire
Alors que Maurizio Cattelan s’illustre dans un contre-pied constant avec les règles établies, si l’on se penche sur ses propres témoignages et analyses de ses œuvres, l’on remarque qu’il y a chez lui une véritable volonté d’exister et de ne pas tomber dans l’oubli. L’artiste indique en effet vouloir partager ses peurs à travers ses œuvres, et en quelque sorte les imposer aux autres. Il se voit comme une victime de la société et de ses conventions, à la fois en tant qu’artiste et « raté libre », il fige sa condition et s’en régale auprès de ses admirateurs comme de ses détracteurs. Exemple avec l’une de ses premières œuvres, Mini me, une sculpture hyperréaliste, autoportrait de l’artiste, où il évoque sa double identité : « Deux Cattelan devenaient un seul dans ce cadre en argent. Le cadre en argent, c’était l’art, les conventions de l’art ; moi je m’y tenais et y serais toujours à l’étroit, à l’intérieur de ce cadre ». Malgré ses déclarations, il reste difficile de cerner le vrai du faux dans les réelles intentions l’artiste, lui qui envoie parfois ses assistants répondre aux interviews qui lui sont consacrées, il entretient en effet un mystère et une confusion constante quant à ses motivations.

Dans son autobiographie « Non autorisée », (Francesco Bonami, éd. Les Presses du Réel, 2013), il évoque la vocation du mensonge, « la vérité est plus dangereuse que le mensonge ». Mais alors où est le vrai, où est le faux ? Ce qui paraît comme une moquerie continuelle et parfois déplacée, témoigne en réalité d’un doute profond chez l’artiste, mais là encore on ne sait pas jusqu’à quel point on se rapproche de la vérité. Son travail est une succession de couches sémantiques et autobiographiques, visibles selon les désirs, et surtout l’humeur de l’artiste au moment du processus créatif. Comme il traite de sa propre vie, Maurizio Cattelan a aussi conscience de la dimension politique dans la plupart de ses œuvres, qu’il balaie d’un revers de main en mentionnant la politique comme « un morceau de plastiline pour un sculpteur. (…) La politique, je la cuis comme une argile comme je cuis les sentiments humains. Quand ils sortent du four, ils doivent être méconnaissables, même si ils sont peut-être plus fragiles qu’avant ». 

Son travail est une succession de couches sémantiques et autobiographiques, visibles selon les désirs, et surtout l’humeur de l’artiste au moment du processus créatif.

Souvent critiqué, jamais altéré…
Le caractère unique de son travail a, malgré les provocations et les déboires, fait de l’artiste un acteur majeur du monde de l’art. Si l’on retrouve le même genre de démarches hyperréalistes et dérangeantes chez ses contemporains comme par exemple Ron Mueck ou Kader Attia, Maurizio Cattelan est resté pour sa part en marge du marché, non pas par volonté personnelle, mais c’est ainsi qu’il s’y est toujours vu.
« Plus je voyais et extirpais des pans sombres de ma vie et ceux de la société, plus il me semblait rencontrer le succès ».
Là encore, la frontière entre réalité et fiction est infime, et bien qu’il se voit à la fois dans et en dehors du cadre, il fut célébré à maintes reprises dans de nombreuses institutions de renom à l’image de la Fondation Beyeler, le Musée du Louvre, le MoCA ou encore la Kunsthalle à Bâle. La plus significative est sans doute l’exposition « All » en 2011, au Musée Guggenheim de New-York. Cette rétrospective était censée marquer la fin de la carrière de l’artiste, qui a ainsi rassemblé toutes ses œuvres les plus significatives. Il s’agissait ici encore d’un contre-pied : mécontent de l‘architecture du musée conçue par le célèbre Frank Lloyd Wright, voulue épurée et permettant une déambulation fluide au visiteur, Maurizio Cattelan décida de pendre toutes ses œuvres en vrac au centre du musée. Impossible donc de les voir de près et « seules », il se justifia en évoquant qu’ainsi, elles s’envolaient vers l’éternité et étaient lavées de tout pêché et de tous les tords qu’elles avaient pu causer auprès du public. Une grande farce criante de vérité ou encore un tour de passe-passe, on ne saura jamais vraiment, mais c’est bien cela qui fait le caractère unique du travail de Maurizio Cattelan. Il se consacra par la suite à la publication de magazines spécialisés dans la création graphique et le détournement d’images, dont le plus reconnu aujourd’hui est « Toilet Paper Magazine », créé avec son confrère Pierpolo Ferrari, qui fut notamment l’objet d’une exposition à la Galerie des Galeries Lafayette, à Paris, cette année.

« Plus je voyais et extirpais des pans sombres de ma vie et ceux de la société, plus il me semblait rencontrer le succès ».

Maurizio Cattelan

L’enfant terrible qui avait tiré sa révérence est donc revenu pour la rétrospective de la Monnaie de Paris, afin de dresser encore son « auto portrait » et donner un nouvel environnement à ses œuvres les plus représentatives. Rien n’est jamais sur donc avec lui, et ne le sera jamais. L’on s’attend à le voir revenir encore, pour notre plus grand plaisir. Sérieux et misère, voilà les ingrédients qui ont fait de cet artiste un génie de notre époque et de nombreuses autres encore. 

Crédit photo : Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 2001


Publié le

dans

par