Gustav Klimt Mère et enfant 1905

J’accouche donc je suis ? 

Article officiellement sponsorisé par les hormones. 

Ceci n’est pas un énième récit d’un accouchement, quoiqu’il s’agisse d’un énième récit d’une nouvelle maman… 
Ce récit, ou plutôt ce ressenti, j’imagine que beaucoup de femmes l’ont eu avant moi, peut-être même toutes. Chacune son histoire, chacune son expérience. Mais il y a des situations auxquelles on n’échappe pas et dans lesquelles nous nous retrouvons toutes au moins une fois. Combien de réflexions, de commentaires, de conseils, de bons mots, d’encouragements, d’anecdotes, de mimiques entendons-nous enceinte… ? En famille, entre amis, au boulot, dans la rue, au yoga ou au supermarché, qui n’a pas déjà fait face à cette bienveillance parfois maladroite dont peuvent faire preuve les gens face à notre gros ventre et ce qui nous attend ? Si l’on se sent dans un premier temps privilégiée et choyée par nos proches, l’on comprend vite à l’approche de l’accouchement que tout repose sur nos épaules et que c’est nous seules qui allons le mettre au monde, ce bébé. 

Pour moi, accouchement était égal à — outre la rencontre avec le bébé — hôpital, péridurale et soutien médical. Que nenni ! J’ai découvert que de nos jours, accoucher chez soi ou sans assistance médicale est aussi souhaité qu’accoucher dans une clinique privée spécialisée ultra bien notée. Quant à un cours de yoga prénatal on m’a demandé comment je souhaitais accoucher, que je n’ai su bredouiller qu’un « par voie basse » timide, j’ai compris que j’avais un train de retard. J’ai alors appris que toute femme devait présenter un « projet de naissance » avant son accouchement. Et via ce projet, indiquer si elle souhaite accoucher physiologiquement, « en physio » en langage maman, donc sans assistance médicale, ou avec cette assistance, autrement dit avec la péridurale, « la péri ». À cela s’ajoute les options baignoires / accouchement dans l’eau, accouchement en musique, accouchement par le papa ou avec une accompagnatrice spécialisée appelée doula, qui apporte un soutien émotionnel et physique durant l’accouchement. Toutes ces options sont guidées par une idée commune : rester maîtresse de son accouchement et le faire le plus naturellement possible. 

« Madame, quel est votre projet de naissance ? »

L’accouchement physiologique est comme son nom l’indique naturel, il s’agit de donner naissance en laissant faire la nature, en laissant faire notre corps, et surtout en lui faisant confiance. Appréhender l’intensité de la douleur grâce à cette confiance, grâce à une préparation psychologique préalable et il faut bien le dire, grâce à la force mentale dont on saura ou non faire preuve sur le moment. D’un point de vue idéologique, car c’est bien de cela dont il s’agit, accoucher physiologiquement c’est redonner à son corps tout son pouvoir, plus ou moins brimé ou volé selon certaines par la médecine moderne depuis quelques décennies. Cette médecine moderne qui a largement contribué à baisser le taux de mortalité natale mais aussi qui a dénaturé l’acte d’accoucher en étant présente en back-up et en proposant cette piqûre à la fois adulée et critiquée : la sacrosainte péridurale. Moi qui débarquais de ma petite planète, insouciante et ingénue, j’ai vite compris qu’en réalité aujourd’hui deux écoles s’affrontent : l’accouchement physiologique sans intervention extérieure vs l’accouchement avec péridurale et contexte médical. Autrement dit, soit t’es une vraie comme ta grand-mère soit tu cèdes au confort de la médecine. 

Plus qu’un acte soumis à la tendance, l’accouchement est donc devenu un test de performance, et pire, un test pour savoir jusqu’où est-on capable d’aller pour préserver notre bébé dans le contexte le plus naturel possible. Comme si les femmes, les mères, n’avaient pas assez de pression déjà, il faut également faire ses preuves dans la salle d’accouchement, et pas seulement en donnant naissance à un bébé en bonne santé non, il faut aussi le faire sans assistance. Tout cela n’est bien sûr pas imposé, disons plutôt que c’est désormais une discussion qui s’impose systématiquement, surtout dans les milieux favorisés. 
A quelques exceptions près, les professionnels de santé que l’on rencontre durant la grossesse se gardent bien d’affirmer clairement leur position « pro physio » ou « pro péri ». Mais dans mon cas personnel, j’ai bien senti qu’il fallait faire un choix, ou plutôt qu’il fallait choisir son camp. Et les arguments sont nombreux pour l’un comme pour l’autre. D’un côté le processus naturel, laisser les hormones spécialement conçues par notre organisme faire le job et y aller au mental pour supporter la douleur, d’un autre le soutien chimique d’une piqûre qui permet de soulager l’intensité des contractions. Des deux côtés, des risques : perdre toutes ses forces et entraîner des complications ou artificialiser le processus et entraîner des complications. Du kiff-kiff au final. 

Voilà, il existe donc deux options majeures, deux idéologies, deux discours, et bien que tout le monde se veuille bienveillant, nous sommes forcément « étiquetées » selon ce que l’on choisit. Le pire c’est que cette étiquette, ce n’est pas forcément les autres qui nous la font porter, mais nous-même. Un sentiment de culpabilité apparaît que l’on fasse l’un ou l’autre, « Je n’ai pas été assez forte pour supporter les douleurs, j’ai dû succomber à la péridurale » ou « Je suis allée jusqu’au bout sans aide mais j’ai beaucoup souffert de ma suite de couche ». 
La réalité est qu’il n’y a pas de bonne ou de meilleure manière d’accoucher, que ce moment, bien que médicalisé, intellectualisé, philosophé, ne peut se prévoir et s’accomplir à l’avance, ne peut se référer uniquement à une tendance. Bien sûr qu’il faut laisser faire la nature, bien sûr que c’est plus sûr d’être accompagnée d’un soignant. Combien de situations aurait pu se passer de médecins là où dans d’autres cas ces derniers ont permis de sauver mère et enfant. 

La question est pourquoi l’accouchement, si singulier, si personnel et imprévisible, fait l’objet d’une récupération identitaire de performance ?

La question est pourquoi l’accouchement, si singulier, si personnel et imprévisible, fait l’objet d’une récupération identitaire de performance ? Pourquoi affirmer une position dans un moment pareil ? Pourquoi devoir se prononcer pour ou contre la nature là où il est impossible de savoir si les choses se feront naturellement ? Pourquoi se rajoute-on encore plus de pression sur ce moment quand on vient de déjà de passer neuf mois à avoir essayé de faire de son mieux ? On se jauge, on se juge, on cherche le succès même dans ces moments les plus cruciaux, intimes et beaux d’une vie. Certaines le vivent bien, d’autres moins, certaines y ont fait attention comme moi, d’autres ont laissé glisser sans aucune répercussion. À la fin, seule l’arrivée du bébé compte, et tout cela s’oublie vite. Jusqu’au prochain « Madame, quel est votre projet de naissance ? »…

Crédit photo : Gustav Klimt « Mère et enfant » 1905


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