© William Eggleston, série Los Alamos, 1965-1968

Photographie et intelligence artificielle

L’éclairage de l’ADAGP.

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Depuis maintenant plus d’un an, l’intelligence artificielle est apparue dans nos vies, et avec elle, son lot de surprises et de questionnements. À l’heure où nos canaux de communication sont envahis de contenus créés par des machines de traitements de données, que ce soient des textes mais aussi des images, c’est le principe même d’authenticité et de propriété de l’image qui est mis en jeu. L’ADAGP, société référence en France pour la défense et la perception des droits d’auteur dans les arts visuels, lance un signal d’alerte.

Ces noms sont peut-être déjà familiers pour certains, pour d’autres ils sont encore un nom que pourraient porter un satellite en mission ou un robot… à juste titre : Midjourney, DALL-E, Stable Diffusion ou encore ChatGPT, voilà les premiers fleurons de l’intelligence artificielle. Ces nouveaux outils technologiques, pour le moment entièrement gratuits et accessibles à toutes et tous, permettent de créer de toute pièce du contenu écrit (dans le cas de ChatGPT) ou des images (Midjourney, DALL-E, Stable Diffusion) à partir d’une phrase, d’une demande que l’on formule au préalable, aussi appelée un prompt. En quelques minutes voire en quelques secondes, ces outils traitent par milliers des données déjà existantes sur la toile suivant une mécanique algorithmique qui va chercher des éléments correspondants à la demande dans les moindres recoins. Et le résultat est bluffant : des images artificielles de facture parfois si parfaite que l’on se demande si l’on aurait pu faire mieux avec un appareil photo et la réalité.

En quelques minutes voire en quelques secondes, ces IA génératives traitent par milliers des données déjà existantes sur la toile suivant une mécanique algorithmique qui va chercher des éléments correspondants à la demande dans les moindres recoins.

Selon l’ADAGP, qui depuis sa création en 1953 protège les droits d’auteur des artistes en France, il est grand temps de légiférer à ce propos, si tenté que cela est encore possible. Si un texte est actuellement à l’étude au niveau du Parlement européen, l’on est encore loin d’une régulation à la hauteur du basculement qui s’opère. Lors d’une table ronde à l’occasion des Rencontres de la Photographie d’Arles 2023, intitulée « Intelligence artificielle et photographie : quels enjeux pour les auteurs ? », Marie-Anne Ferry-Fall, directrice générale de l’ADAGP interpelle : « Chacun s’accorde à dire que l’intelligence artificielle est une évolution technologique majeure, fascinante, intrigante voire inquiétante, dont les effets sont considérables pour le secteur de l’image ». C’est le statut même de l’artiste et celui de l’image dont il est ici question, car l’on ne peut pas mettre au même niveau une image créée de la main de l’homme avec un appareil photo et une image créée par une machine qui s’appuie sur d’autres images sans accord ni contrôle de leurs auteurs. Cette nuance peut d’ailleurs paraître coquasse : des algorithmes créés par des humains utilisent sans autorisation des images créées par des humains pour créer des images artificielles, qui peu à peu se substituent aux créations humaines.
Les enjeux sont ici de taille, et face à un phénomène d’une telle ampleur, l’ADAGP préconise trois points fondamentaux pour imposer une régulation au plus vite en faveur des droits d’auteur. Cette dernière remet notamment en question la directive 2019/790 et son article 4 qui ne protègent pas suffisamment les auteurs dans le cas de l’utilisation des données, sous couvert de recherche scientifique servant l’intérêt public.

« Chacun s’accorde à dire que l’intelligence artificielle est une évolution technologique majeure, fascinante, intrigante voire inquiétante, dont les effets sont considérables pour le secteur de l’image. »

Marie-Anne Ferry-Fall, directrice générale de l’ADAGP

Le premier point fondamental est le consentement des auteurs, jusqu’ici mis à mal. En effet, pour créer une image selon le prompt formulé, les algorithmes procèdent à une fouille de données et se servent dans un corpus d’images sans demande ni autorisation de leurs auteurs. Par défaut, toutes les images sont considérées par ces machines comme opt out : ces dernières peuvent pêcher du contenu et se servir sans consentement. L’article 4 de la directive 2019/790 stipule de plus que si les auteurs ne souhaitent pas donner accès à leurs images, ils doivent intégrer ce refus via les métadonnées, alors lisibles par les machines. Les métadonnées sont ces légendes que l’on retrouve « derrière » les images, qui souvent reprennent le titre d’une image et surtout son auteur. Dans ce cas précis, l’on comprend que ce système n’est pas viable tant les images sont reproduites à l’infini sur internet, leurs auteurs ayant très rarement la main sur les métadonnées des divers sites qui publient ces images. Si les métadonnées sont expressément formulées par les auteurs des images, elles sont souvent écrasées par des sites utilisateurs peu regardant. Selon l’ADAGP, il faudrait inverser ce système en opt in : par défaut, les images seraient protégées et non accessibles, sauf si l’auteur a formulé son consentement via les métadonnées. Les intelligences artificielles génératrices de contenu se serviraient alors directement dans une banque d’images ayant préalablement reçues une autorisation d’utilisation par leurs auteurs.
Un autre point fondamental est la valeur de ces images, et donc la rémunération de leurs auteurs. Si la monétisation des images est rudement mise à l’épreuve avec internet et la reproduction illimitée de contenu, des outils existent et peuvent être développés pour établir un partage de valeur. Dans le cas des intelligences artificielles génératrices d’images, une compensation financière et équitable attribuée à l’auteur ayant préalablement donné son accord pour l’utilisation de ses images pourrait être mise en place, sans que cela ne devienne trop compliqué. Là on l’on peut tracer des images avec des métadonnées, l’on peut aussi mettre en place un système de gestion collective de rémunération.
Enfin, un point fondamental à ne pas manquer est bien sur la transparence du fonctionnement de ces machines. Chaque auteur devrait avoir un droit d’accès à l’utilisation de ses images, l’ADAGP évoque également un droit de rectification, d’opposition et d’effacement. Les procédés aujourd’hui encore opaques des intelligences artificielles pour la fouille d’images déséquilibrent tout rapport de confiance.
De manière plus générale, si un cadre juridique n’est pas imposé, avec des lois claires pour protéger les auteurs qu’ils soient professionnels ou simples amateurs auteurs d’une image diffusée sur un réseau social, cela peut vite devenir préjudiciable.
Outre le droit d’auteur ignoré, c’est la manipulation et l’uniformisation d’images fausses qui peuvent par exemple nourrir des stéréotypes, cela pose aussi la question de l’éthique qui jusqu’à présent ne fait pas partie de l’aventure.
D’autre part, pourra-t-on toujours croire aux images, à leur véracité, quand d’autres sont montées de toute pièce ?

Dans le cas des intelligences artificielles génératrices d’images, une compensation financière et équitable attribuée à l’auteur ayant préalablement donné son accord pour l’utilisation de ses images pourrait être mise en place, sans que cela ne devienne trop compliqué. Là on l’on peut tracer des images avec des métadonnées, l’on peut aussi mettre en place un système de gestion collective de rémunération.

L’IA est perçue à raison comme une évolution logique des outils technologiques, la peinture a vu apparaître la photographie au XIXe siècle, à la même époque l’artisanat a petit à petit été remplacé par l’industrialisation de masse et le travail à la chaîne, cela s’inscrit donc dans la continuité du progrès humain et technologique.
Finalement, ce n’est pas tant l’outil mais la méthode dont celui-ci est employé qui interroge et appelle à rester vigilant.

Crédit photo : © William Eggleston, série Los Alamos, 1965-1968


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