« Alors, il ressemble à qui ce petit ? »
Nouveau billet d’humeur sponsorisé par les hormones, presque un coup de gueule. Non ce n’est pas vrai, all good. C’est juste un petit texte comme ça. En hommage à ce que vivent il me semble la majeure partie des mamans quand elle viennent d’enfanter : qu’on leur dise à qui ressemble leur bébé.
C’est universel et depuis la nuit des temps, à peine est-il sorti qu’il faut vite l’inscrire dans la lignée familiale et génétique, à des niveaux parfois un peu poussés voire loufoques. Il a même pas deux heures qu’il ressemble déjà à tata Micheline ou au cousin par alliance du facteur. Blague à part, on les connaît ces commentaires qu’on a pas demandé. Entre le tsunami d’émotions et le chaos physique que l’on ressent après l’accouchement, on se passerait bien de ces observations, même plus : on s’en fou. Notre bébé est là, il va bien, c’est tout ce qui compte. Pour le reste on va essayer de se remettre debout et arriver à aller faire pipi toute seule, merci bien.
Le pire — et c’est logique — c’est que ça continue, ça ne fait que s’intensifier dans les mois, les années qui suivent. Plus l’enfant grandit et sort de son apparence de têtard échoué, plus les commentaires vont bon train. Les plus chanceuses auront « C’est ton portrait craché », mais le plus courant reste : « C’est tout son père ». Ah oui, celui-là, il fait mal. On fait tout le boulot pendant neuf mois et c’est le papa qui récupère le trophée de parenté apparente.
Vous me direz, personne n’est responsable dans cette histoire et c’est plutôt une bonne nouvelle que l’enfant ressemble à son papa, ça peut éviter dans certains cas le débat.
N’empêche que bouffer du « C’est vraiment la tête de son père » ou « J’ai l’impression d’avoir son père en face de moi » à longueur de temps et toujours sans avoir rien demandé ça finit par foutre les boules. Pardon, mettre en rogne.
Personnellement, j’ai été — et vous l’aurez compris — lassée par ces commentaires incessants mais j’ai fini par le prendre avec humour, il valait mieux. Surtout quand ça se passe principalement dans le cercle familial. Ma belle mère par exemple ne se cantonne pas à la ressemblance paternelle ; pour elle, mon enfant ressemble carrément à toute sa lignée au complet, mais surtout à elle, en tout cas pas à moi. Et il est important de me le rappeler à chaque déjeuner familial dominical au cas où j’en doutais encore. Je réponds parfois cette vieille blague aperçue un jour dans mon feed — à croire que même mon algorithme Instagram s’est posé la question d’à qui ressemble mon bébé — « À vous entendre, heureusement que j’étais là dans la salle d’accouchement car sinon j’aurais des doutes ! » Ha ha ha (rire jaune presque orange sanguine).
Passée l’exaspération, c’est un sujet qu’il est aussi intéressant d’analyser avec un peu de philosophie et de hauteur. Pourquoi faut-il à tout prix trouver ou acter une ressemblance de l’enfant dans le cercle familial ? Pour la prospérité bien sûr. Pour la certitude qu’il est bien à nous cet enfant. Qu’il s’agit bien de notre suite, en d’autres termes, que l’on continue de vivre, et l’on continuera à travers lui. L’héritage, la transmission, la pérennité, tout ça. C’est presque une question de propriété, de rapport à soi et à sa continuité. Et c’est plus fort que nous. Surtout quand on fait désormais partie des anciens, cette ressemblance véritable ou rêvée est la preuve que ce n’est pas la fin, on se raccroche à cette nouvelle vie qui porte une partie de nos gènes. Et bientôt, il ne sera plus question de ressemblance mais de précieux moments passés ensemble.
Je finirai peut-être moi aussi par mettre mes enfants mal à l’aise à trouver leur nouveau né exactement comme moi au même âge, et j’espère qu’ils oseront me remballer avec ce texte qu’ils auront réussi à déterrer des méandres du Web 2.
En attendant, qu’ils nous ressemblent ou pas, on les aime plus que notre propre vie ces petits. Big up à tous les jeunes parents, et cheers à toutes les familles, belles familles, amis et cousins du facteur.
Crédit photo : Caravage « Narcisse » 1597-1599, peinture à l’huile