Je te laisse un bout de ma lettre ici.
Pendant 1 an, j’ai écrit à ma maman. Les 365 jours qui ont suivi sa mort, je lui ai écrit. Cette lettre, je l’ai même envoyé à quelques éditeurs qui ont eu la bonne idée de gentiment refuser de la publier. Parce que ce n’était pas la bonne ligne éditoriale mais aussi parce que ça ne devait pas sortir chez eux mais ici, chez moi. Alors à l’occasion de la fête des mères, voici un petit bout de ma lettre. Pour toi, pour moi, pour elle et pour lui, pour eux et pour toutes les mamans. Puissent où qu’elles soient recevoir toute la lumière qu’elles méritent.
(…)
1 an, c’est un tour autour du soleil et pourtant, j’ai la sensation qu’il est impossible de faire le tour de toi. Pourquoi il apparaît soudain que la fin de ce récit approche ? Peut-être parce qu’on a bouclé la série des premières fois… je ne sais pas pourquoi mais ça sonne comme un gong chez moi, alors que j’aurais toujours envie de te parler. 365 jours à t’écrire. Mince depuis le début je n’ai jamais pensé à la fin… Est-ce que je t’ai écrit tout ce temps pour te retenir ?
Ce texte, je l’ai écrit pour continuer de m’adresser à toi, pour que quelque part dans l’irréel tu puisses le lire, un rendez-vous quotidien comme nos millions d’appels ces 34 dernières années.
Ceux à qui je me suis confiée sur ce texte m’ont dit qu’il était une thérapie. Et c’est vrai, ce texte a été comme des béquilles pour marcher. Seulement, si maintenant il faut continuer de marcher sans, ça me file une sacrée trouille d’un coup.
Pendant 1 an j’ai marché avec pour affronter la tristesse profonde et latente, si présente qu’on la soupçonne éternelle, malgré le temps et sa cure.
Pendant 1 an j’ai marché avec pour affronter la colère, l’abandon, les malentendus, le déni et les insomnies.
Pendant 1 an j’ai marché avec pour porter mon fils, pour le mettre au monde, pour combattre ma culpabilité de lui faire vivre une telle situation, pour accepter le rejet de ma fille, pour essayer de la (re)conquérir, pour voir mes deux enfants, mon mari et moi-même faire famille.
Pendant 1 an j’ai marché avec pour continuer d’être une femme, du moins essayer de le devenir, pour rester celle qu’il a choisi et pour garder tout au fond un désir de vivre et de faire.
Pendant 1 an j’ai marché avec pour encaisser cette ambivalence entre être une femme et être une mère, et je ne sais d’ailleurs toujours pas quoi faire de moi quand mes enfants ne sont pas là.
Pendant 1 an j’ai marché avec dans cette perpétuelle lutte entre le doute et la confiance, le doute de faire mal ou pas passer, la confiance gagnée quand on se relève des coups qui n’ont pas tué.
Pendant 1 an j’ai marché avec pour traverser cette dualité entre la mort et la vie, et jusqu’à présent c’est toujours la vie qui l’a emporté malgré les heures les plus sombres.
Pendant 1 an j’ai marché avec sans penser à rien d’autre qu’à toi et à moi.
Pendant 1 an j’ai marché avec dans cette perpétuelle lutte entre le doute et la confiance, le doute de faire mal ou pas passer, la confiance gagnée quand on se relève des coups qui n’ont pas tué.
(…)
Depuis que je suis de ce monde, depuis que mon corps compte et retient les années, depuis que ma bouche raconte, tu as été le centre névralgique de toute mon existence. Et quelque part, tu le seras toujours. Tu m’as donné la vie et je dois surmonter ta mort, il faut reconnaître que ce n’est pas la plus facile des épreuves. Alors tu continueras de vivre à travers mes mots, comme tu continues de vivre à travers le caractère de Romain, la sensibilité de Mathias et le rire de papa. Tu continueras de vivre dans les gènes de mes enfants, et dans tous ces moments où tu seras citée ou évoquée par une pensée. Tu continueras de vivre dans les moments que je choisirai, les plus évidents comme les plus inattendus, même les plus loufoques et les plus gnangnan.
Je chasserai toujours les arcs-en-ciel quand il y aura du soleil après la pluie car on a décrété avec les garçons que c’était un de tes moyens de communication, je te verrai toujours dans le soleil parce que je ne vois rien d’autre la haut qui peut te représenter le mieux, et parce que ça réchauffe le cœur. Je te sentirai même dans le vent si je veux. Je me créerai autant de signes qu’il faut et si beaucoup viendront de moi, certains seront aussi de toi. Je continuerai de te chercher et de te trouver dans cette vie, même si tu n’y es plus. Et si la réincarnation existe, j’espère te retrouver dans une autre vie, et encore une autre après celle là. Peut-être que c’est ça aussi notre histoire, que l’on se retrouvera toujours quelque part.
Perdre sa maman, c’est cruellement courant. Rien n’est extraordinaire dans ce récit et je sais que même si je te pleure, je suis une privilégiée née du bon côté de la planète et de la société. Mais perdre sa maman, c’est aussi universellement triste et ce, à tout âge.
Alors ma tristesse et moi, nous avancerons dans la suite de l’aventure, dans cette vie qui m’a donné et qui m’a pris, nous avancerons avec le sourire parce que tu m’as toujours dit que j’étais plus jolie ainsi. Nous avancerons et nous ferons même chemin à part parfois, il reste tant de beaux jours à vivre, il y a tout le reste qui est connu et inconnu. Je n’ai jamais été aussi confiante perchée ainsi dans le vide, mais il me semble que c’est une des nombreuses choses que tu m’as apprises… « Regarde en l’air, en bas il n’y a rien à voir ».
Je te sais ici près de moi et là haut à veiller sur nous. Tu as rejoint le plus grand et le plus lumineux des mondes, les étoiles n’ont qu’à bien se tenir.
Pour toujours, je t’aime maman.
Ton petit Kipoutou.
Crédit photo : Maternité, Henri Matisse, 1939