Avoir perdu, puis avoir peur de gagner.
Ceci est une nouvelle confidence : un jour j’ai perdu et maintenant j’ai peur de perdre encore. Un jour, j’ai perdu gros et ça m’a mise par terre. Depuis, outre le chagrin et tout le tintouin, je vis avec la peur viscérale de perdre, mais surtout de gagner. Comme si j’arrivais à un match de sport avec l’angoisse de remporter la coupe aussi prenante que celle d’échouer.
C’est certainement un traumatisme courant voire logique, quand on a perdu, on a peur de perdre ensuite et encore. Perdu un proche, perdu un job, perdu sa maison, perdu confiance, perdu ses repères, perdu le goût, perdu le sens. Quand ça arrive, on connaît le mal que provoque cette blessure alors forcément, on est craintif pour la suite. Cette suite où il faut se remettre dans le bain et avancer malgré tout, parce qu’il faut bien vivre et parce que ça vaut le coup. Et puis ce n’est pas une légende, il y a le temps et sa cure, qui font autant de bien qu’ils réparent, même si les morceaux ne pourront pas tous être recollés.
On finit par se faire à cette peur qui nous accompagne désormais au quotidien, qui touche à tout et qui parfois gâche un moment ou alors est carrément effacée un instant par la joie, le rire et la communion. On rationalise cette peur, on la déguise, on la taquine même les jours où l’on se sent léger et puissant juste parce qu’on a confiance pour une fois et on ose se poser en se disant « Aller je vis et je profite de ce moment, je ne vais pas le perdre celui-là ».
Si cette peur de perdre est devenue familière, c’est la peur de gagner quasiment aussi présente qui est finalement plus problématique. Elle fait partie d’un système de pensée, une sorte de paramétrage psychique ou psychologique qui personnellement m’échappe bien que j’essaie ici d’y mettre des mots.
Donc peur de perdre, mais surtout de gagner. Car qui dit gagner, dit nouveau risque de perdre.
Si la vie me donne un être cher, si je gagne un bon moment, un travail, une situation qui peut mettre à l’abri ma famille ou juste me procurer du plaisir et de la sérénité, ce sont autant d’éléments donnés qui peuvent être repris. Comme le revers de la médaille, les épines sous les roses, le sable dans les chaussures après la plage ou les régularisations d’impôts à la fin de l’année.
Comme si éprouver à nouveau du plaisir était passible d’une amende, avoir perdu c’est avoir peur de gagner. Quelle plaie de penser comme ça… mais surtout comment panser cette plaie.
Parce que c’est bien beau d’avoir peur, mais l’heure tourne et faudrait pas passer à coté de tout non plus. Ce qui m’amène enfin à mettre un peu de crème sur tout cela — si vous êtes arrivés jusqu’ici c’est déjà que je ne vous ai pas déprimés pour la journée et tant mieux. Cette crème donc, c’est le courage d’avancer dont nous sommes tous au moins un peu dotés, grâce à ce et ceux qui nous entourent. Ce courage qui nous pousse à oser, à essayer, à dépasser, à tenter, à réussir, et donc à gagner. Et finalement, tout ce qui est pris n’est plus à prendre. Tout ce qui est gagné le reste, dans l’instant présent et c’est bien ce qui compte, le présent. In da bank, comme ils disent en Amérique (et à Dubaï aussi). Rien ne serait plus triste que de ne plus bouger par peur de monter ou de descendre, de rester là immobile, à côté de la vie.
Perdre ou gagner n’est plus le sujet, ce qui compte, c’est de cheminer. Et la peur, elle, s’adapte, jusqu’à devenir une alliée.
« J’y vais mais j’ai peur ».
Crédit photo : © Toilet Paper Magazine