Rose Valland, André Dézarrois et un gardien

C’est l’histoire d’une femme

Rose Valland, historienne et traceuse d’œuvres spoliées.

Nouvel article de la chronique « C’est l’histoire d’un mec… », et cette fois c’est une femme !

Elle est aujourd’hui la figure de la défense des collections muséales françaises à l’heure où les Nazis ont pris Paris et la moitié de la France, plongeant le pays dans le climat de terreur que l’on connaît.
Historienne de l’art et résistante française, nous devons en grande partie à Rose Valland (1898-1980) la restitution de bien des chefs d’œuvres de notre patrimoine artistique et ceux de familles juives spoliés pendant la guerre.

Tout pour l’art
Née en 1898 à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs (Isère), Rose Valland fit ses études aux Beaux-Arts de Lyon puis à Paris, et se spécialisa en histoire de l’art. Devenue attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, elle le restera pendant toute l’Occupation jusqu’en 1944. C’est notamment au Jeu de Paume que s’est établi en 1940 l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), le service allemand chargé des spoliations dirigé par Alfred Rosenberg. C’est ici que transitaient les œuvres spoliées dont celles proposées aux membres du IIIe Reich, celles conservées pour être exposées sur place en guise de décorum et celles destinées à la destruction (considérées comme « art dégénéré »). Une note de Rose Valland datant du 20 juillet 1942 stipule spécifiquement que plus de 600 œuvres ont été tailladées, découpées et brûlées dans les jardins du Jeu de Paume, parmi lesquelles des toiles de Masson, Miró, Picabia, Picasso, Valadon, Klee, Ernst, Léger ou encore Mané-Katz.
Désormais sous les ordres des Nazis, Rose Valland a très vite cerné le grand pillage mis en place concernant les œuvres des collections institutionnelles et muséales françaises, mais également des collections privées appartenant à des familles et des notables juifs. Connaisseuse à l’œil averti des œuvres issues des innombrables périodes artistiques qui parcouraient les collections concernées, Rose Valland a non seulement défié ses supérieurs et l’ordre établi au risque de sa vie, mais a aussi mis ses compétences au service de la Résistance et de la sauvegarde du patrimoine.

Consigner, tracer, sauver
Pendant des années et en secret, elle a consigné dans des carnets tous les mouvements des œuvres en transition au Jeu de Paume. Chaque numéro de convois, chaque information sur la nature et la destination des œuvres — dont la majorité partait en Allemagne dans des dépôts — furent méticuleusement inscrits dans ses cahiers dans le but ultime de pouvoir les retrouver un jour. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’a pas manqué. Cet inventaire fut d’une utilité cruciale pour les Alliés et la grande campagne de restitution des œuvres spoliées après la Libération.
En mai 1945, Rose Valland reçoit un ordre de mission de l’armée française de se rendre en Allemagne dans l’un des collecting point permettant la centralisation et la récupération de toutes les œuvres spoliées sur la base de ses carnets et inventaires. Son travail inestimable a permis d’identifier pléthore d’œuvres dans les dépôts nazis éparpillés dans le pays — notamment à Neuschwanstein ou Altaussee. Nommée en 1947 au poste central de la Récupération artistique à Berlin, il est aujourd’hui avéré que Rose Valland a participé au rapatriement d’environ 60 000 œuvres et objets.
À son retour en France en 1953, elle devient conservatrice des Musées nationaux et cheffe du Service français de protection des œuvres d’art.

La sauvegarde en héritage
Par ailleurs, Rose Valland a participé à la mise en place d’un décret permettant d’instituer les « MNR », musées nationaux récupération. Ces derniers ont pour mission de conserver les œuvres ramenées d’Allemagne toujours en attente de restitution à leurs propriétaires et ayants droit. Ce corpus d’œuvres est aujourd’hui toujours existant et est devenu la base Rose Valland, un site internet qui répertorie les œuvres spoliées avec toutes les informations alors consignées par l’historienne.
Rose Valland a reçu de nombreuses distinctions pour services rendus à la Nation, dont la Légion d’honneur, la médaille de la Résistance ou encore l’ordre du Mérite. Décédée en 1980, elle laisse une trace indélébile dans le destin du patrimoine artistique français, en véritable ange gardien d’œuvres pour lesquelles des millions de touristes font le voyage aujourd’hui, ou de familles qui en dépit de l’horreur ont pu se voir restituer une partie de ce qui leur appartenait.

© Marc Vaux, La grande galerie abandonnée, 1939
© Marc Vaux, La grande galerie abandonnée, 1939

Retour sur image
Cette photographie a été réalisée par Marc Vaux en 1939 dans le cadre d’un reportage sur les salles du musée du Louvre vidées en réponse à l’intensification des tensions internationales et en prévision des affrontements. La plupart des œuvres du Louvre et d’autres musées ont pu être par chance déplacées à temps avant l’arrivée des Nazis et les bombardements, notamment dans certains châteaux de la Loire (Chambord et Cheverny).

Crédit photo d’illustration : Rose Valland, André Dézarrois et un gardien lors du montage de l’exposition « L’art italien des XIXe et XIXe siècles » au musée du Jeu de Paume, mai-juillet 1935.


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