« Mon vrai nom est Elisabeth », ou la claque de l’été.
Premier ouvrage présenté dans le Book club :
« Mon vrai nom est Elisabeth »
Adèle Yon
2025, Éditions du sous-sol
Glaçant. Bouleversant. Poignant. Obsédant. Il est difficile de choisir par lequel de ces adjectifs commencer pour parler de l’effet de cet ouvrage une fois sa lecture terminée.
Dans un langage plus familier, je pourrais aussi dire qu’il m’a rendue dingue. Tant j’ai été prise de colère et de tristesse à la fois, en découvrant l’histoire d’Elisabeth, dite Betsy.
Cette femme au destin tragique dont la seule folie a été de vouloir être elle-même, libre et singulière.
Cette femme prise en étau entre une époque dépourvue de psychologie maternelle et de santé mentale en rapport avec la maternité, et une époque où les hommes jugeaient seuls de la teneur des maux de leurs femmes, soutenus par des schémas familiaux patriarcaux figés dans ce bon vieux mantra aujourd’hui encore funeste : « Pas de vague ».
« Mon vrai nom est Elisabeth » est l’histoire vraie d’Elisabeth, l’arrière grand mère de l’auteure, Adèle Yon. Internée en asile psychiatrique en 1951 et pendant plus de 17 ans, Betsy a subi le pire des expériences de psychochirurgie de l’époque, à savoir les cures de Sakel et la lobotomie, dont les pratiques intenses et barbares furent fureur entre 1945 et la fin des années 1950.
Pour raconter son histoire, Adèle Yon a décortiqué sans relâche les archives des établissements dans lesquels son arrière grand-mère a été internée, elle a questionné sa famille, ses grands parents, ses oncles et tantes, ses cousines et toutes les personnes qui pouvaient témoigner de près ou de loin de cette histoire. Au delà du mutisme comme premier rempart face au tabou de la maladie d’Elisabeth – déclarée schizophrène en 1951 – c’est la gêne et le refus obstiné de se confronter aux causes réelles de sa maladie qui se dévoilent.
Pourtant, les femmes de cette famille se sont toutes senties concernées par cette maladie, qui pensait-on se transmettait dans les gènes. C’est d’ailleurs le point de départ de toute l’enquête de l’auteure, ayant elle-même eu peur d’être atteinte de cette maladie mentale.
Cette femme prise en étau entre une époque dépourvue de psychologie maternelle et de santé mentale en rapport avec la maternité, et une époque où les hommes jugeaient seuls de la teneur des maux de leurs femmes, soutenus par des schémas familiaux patriarcaux figés dans ce bon vieux mantra aujourd’hui encore funeste : « Pas de vague ».
Entre enquête, récit et témoignages, Adèle Yon nous plonge avec courage et méthode (chaque fait est précisément renseigné et daté) dans une véritable tragédie du XXe siècle sur le plan familial et psychiatrique où règnent là encore ces vieux schémas qui ne sont pas remis en question mais qui détruisent pourtant des vies entières sur leur passage.
Aujourd’hui, en 2025, il y a des mots pour nommer ces maux.
Psychose puerpérale.
Dépression du post parthum.
Agression sexuelle.
Inceste.
Adultère.
Abus.
Violence.
Cerveau charcuté.
Non consentement.
Traumatisme.
Abandon.
Patriarcat.
Anéantissement de la personne / personnalité.
En moins de 400 pages, l’on découvre la dramatique catastrophe obtenue par l’union de la bêtise humaine et l’emprise inhumaine de certains hommes sur certaines femmes, notamment en matière de psychiatrie.
Si l’on est scandalisé et parfois même écœuré notamment au dénouement de l’enquête, l’on est aussi et surtout pris d’un profond élan de tendresse et de soutien pour Betsy, et par continuité, pour son arrière petite fille. Car à travers ce récit, l’auteure rend justice à Elisabeth mais aussi et certainement à toutes ces femmes qui ont été maltraitées mentalement et physiquement à cette sombre époque.
Ce livre brise le silence autant qu’il libère, les concernés comme les simples lecteurs, et confère ce pouvoir comme ce devoir, celui de parler.